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August Strindberg, Les Créanciers, mise en scène Frédéric Fage

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Une femme danse, évolue gracieusement sur scène, les voiles noirs de son vêtement l’accompagnent dans chacun de ses mouvements créant une aura étrange autour d’elle. Elle passe, fugacement, sur scène. Cette femme, c’est Tekla, l’épouse d’Adolf, un artiste brillant, peintre mais aussi sculpteur, qui pourtant ne croit pas en lui.

Désespoir artistique. Car oui, si Tekla commence à être connue dans le domaine des lettres, Adolf semble plonger dans une sorte de gouffre sans fond. La première scène le montre ainsi avachi sur un grand lit, dormant profondément, comme cherchant désespérément à oublier. A oublier quoi ? Son absence d’inspiration, ou le fait que sa femme le vampirise presque ? Car, trônant à côté du lit, une toile, inachevée et une sculpture de femme. Le décor entier, plutôt minimal, suggère le vide dans l’existence de ce personnage : des fauteuils attendant que l’on s’y asseye.

Manipulation. Dans cet espace, apparaît soudain un personnage, Gustav, d’apparence amicale. Au milieu de la désillusion il lève un voile sur les raisons qui peuvent expliquer cette incroyable dépression. Apparaissant juste au bon moment, redonnant confiance à Adolf et révélant un aspect de Tekla qu’il ne faut pas sous-estimer : ne serait-ce pas elle qui aurait volé les idées de son mari ? Une phrase de la préface de Strindberg l’illustre bien à ce sujet : « Existe-t-il un être plus méchant, plus mesquin, plus dur, plus cruel que la femme ? (…) Je n’ai pas vu « un seul » mariage où l’homme n’était pas dupé, soumis, avili par la femme… ». Le propos de Strindberg est donc de s’interroger sur les relations au sein du mariage. En discutant avec Gustav, Adolf en arrive donc à la conclusion que sa femme « prend sans jamais donner ».

Un jeu de voix. Tekla est donc bien présente pour le spectateur, dans les paroles de Gustav et d’Adolf. Mais jusqu’à quel point cela peut-il être vrai ?  Les absents ont toujours tort : libre comme l’air, elle va où elle veut mais n’est pas au courant des commérages glissant sur elle. Quel intérêt peut avoir Gustav à aider Adolf ? Il se présente comme son ami, mais ne le connaît que depuis aujourd’hui, depuis son arrivée dans cet hôtel, au bord de la mer. La venue du troisième personnage pourra peut-être éclairer ceci. L’entrée de Tekla sur scène est tout d’abord annoncée par une nouvelle danse, sensuelle, au travers de laquelle les magnifiques costumes confectionnés pour la pièce lui donnent une grande élégance. Décolleté plongeant, regard sûr, tout le jeu de l’actrice participe à la montrer telle que décrite dans les dialogues précédents. Mais pas seulement : car elle révèle une part de fragilité qui pourrait expliquer cette volonté d’écraser les deux hommes qu’elle a ou qu’elle côtoie. Ce serait sa réponse à une structure sociale trop étroite pour elle.

Pris au piège. Des cadres enserrent Tekla, mais tous semblent en être vicitmes. Car, plus qu’esclave de sa femme, Adolf est surtout pris entre deux feux : entre les deux anciens amants, puisque Gustav est le premier mari de Tekla, venu prendre son impôt de bonheur. Car, créancier, oui, il l’est bien à sa manière. Il cherche vengeance. Le dispositif mis en place par Fédéric Fage dans sa mise en scène permet de montrer à tour de rôle comment chaque être ne trouve pas sa place dans l’espace où il se trouve.

Forte de réflexions profondément modernes, la pièce Les Créanciers, publiée en 1888, nous touche au plus profond de nous-même, nous révélant l’ambiguïté de l’idée de domination d’un être sur l’autre.

 

Eléonore Genest

Mise en Scène : Frédéric Fage, avec Maroussia Henrich, Julien Rousseau et Benjamin Lhommas.

Auditorium Saint Germain des prés, 4 rue Félibien, 75006 Paris, du 12 au 27 janvier.

Entrée : de 18 à 34 euros.

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