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Contraintes et libertés de l’écriture scénaristique

À l’heure où s’enchaînent sur le petit écran les séries télévisées de tous genres et de toutes durées, l’intérêt et l’admiration portés à la question de l’écriture scénaristique revient sur le devant de la scène. Soumis aux règles du marché autant qu’aux règles de l’art, supervisé et amené à être revu jusqu’à la dernière minute, le scénario est un objet complexe et un outil fondamental au cinéma. Longtemps méprisé par les critiques, qui aux premières heures du cinématographe n’hésitaient pas à prétendre qu’ « il n’y a pas lieu de considérer que le scénario joue un rôle particulier dans la construction de l’histoire d’un film de fiction »[1] ou encore que « le cinéma doit, sans avoir recours aux mots, se faire comprendre par le simple spectacle des faits et ne jamais insister, le spectateur étant placé devant le film comme un curieux devant un fait accompli, au coin de la rue »[2], il apparait cependant que les enjeux qui traversent l’écriture scénaristique ne sont pas sans importance. Elle est conduite par les règles du langage cinématographique, autant que par celles de la dramaturgie classique, qui régissaient déjà le théâtre durant l’Antiquité ; œuvre de création originale ou adaptation d’un travail étranger au cinéma, le scénario est construit de bout en bout par une structure qu’il s’agit de bâtir avec soin pour supporter le film à venir. Film ou feuilleton, série télévisée ; car en effet, les enjeux de l’écriture pour l’image prend des formes diverses qui ne répondent pas toutes aux mêmes exigences, mais qui se rejoignent dans cette même problématique de la réalité d’une écriture à contraintes, où les contraintes peuvent être créatives. De fait, qu’il s’agisse de la construction d’une histoire dont la durée est limitée par le format cinématographique ou de celle d’une histoire qui se déroule sur plusieurs épisodes calibrés au format imposé par la télévision, les principes d’écriture se révèlent différents, bien que soumis à quelques impératifs qui se rejoignent dans leur appartenance à la même entreprise de divertissement, l’industrie cinématographique. A l’image des mots que Malraux utilisait pour définir le cinéma, « le cinéma est art, et par ailleurs une industrie »[3], le scénario apparait comme le fondement premier de cet art, et comme le premier soumis aux principes de l’industrie. Dans l’article concernant le scénario qu’il rédige pour CinémAction, « Les deux sens du mots », Pierre Maillot revient sur ces deux réalités que couvre la notion de scénario, qui exige à la fois une imagination créatrice et un talent d’écriture, et une connaissance spécifique des moyens cinématographiques, de ses limites et de ses possibilités[4]. Si le  scénario, dans son essence, semble avant toute chose être la plateforme d’un film à venir, il est indiscutable que des qualités d’écriture et de compositions sont fondamentales à la réalisation d’un « bon film ». Quels enjeux l’écriture scénaristique peut-elle imposer à la créativité ?

Un film de fiction permet de découvrir une histoire, qui, quelle qu’en soit la forme, se structure avec un début, un déroulement, une fin. Cette histoire raconte – ou non – quelque chose de particulier, une situation, un univers, une relation ; elle nait d’un texte, dont l’origine n’est pas pensée en dehors des règles imposées par la réalisation. Le métier de scénariste a cette particularité d’être soumis à une future direction et une mise en image qui fait de son travail une simple plateforme à un film à venir. De cette particularité naît la question des contraintes auquel il est soumis, de son premier jet à l’édition finale, qui fait toute la difficulté de ce type d’écriture. Partageant avec le théâtre cette dramaturgie qui rend possible la représentation d’une action dans un temps donné à partir de règles canoniques établies pour le bon suivi par les spectateurs de l’histoire présentée, il doit par ailleurs réfléchir, avec le réalisateur, au langage cinématographique dont l’image va témoigner. Le réalisme d’un scénario n’est pas un enjeu qui se mesure uniquement au niveau de la fiction ; il doit être pensé également en termes économiques, politiques, artistiques, qui se posent là comme conditions de possibilité du tournage du film proposé. La créativité du scénariste se voit ainsi confronté à un catalogue de règles ou d’exigences avec lesquelles il doit savoir traiter pour produire un scénario que tout ce qui entoure son écriture (réalisateur, producteur, spectateur) puisse recevoir sans conditions. Il est donc nécessaire de penser le scénario d’un film ou d’une série télévisée (qu’elle se présente sous forme de feuilleton ou de serial) de prendre en compte ce qui ne s’impose par à l’écriture d’un roman ou d’une nouvelle.

Ce qui peut limiter en premier lieu la créativité du scénariste, ce sont les contraintes extérieures à la propre écriture scénaristique. Confronté aux problèmes économiques, politiques, techniques ou technologiques, l’auteur doit composer avec un certain nombre de conditions préétablies qui, dans le cas du cinéma comme de la télévision, influent sur la construction générale de l’histoire. De ce point de vue les contraintes économiques semblent les plus marquantes ; si le scénario de certaines séries françaises (par exemple Crimes en série ou Préjudices) est moins spectaculaire et entraînant que celui de séries américaines comme Cold Case ou The Closer, on peut mettre en question le problème de l’argent mis à la disposition de la réalisation de ces deux types de programmes. Dans ce type de série, les flashbacks, les reconstitutions et les nécessaires courses de voiture avec le tueur à attraper seront nécessairement mises en scène de manière plus captivante lorsque les moyens financiers et cinématographiques sont plus importants. Il en est de même pour les films ; il est plus difficile pour un scénariste français travaillant sur un premier film financé par le CNC de développer l’histoire d’une invasion extraterrestre ou de reproduire la situation d’une explosion nucléaire qu’à un scénariste travaillant à Hollywood pour un film à gros budget. Cependant, il s’agit à chacun de savoir se détacher de ces questions financières ; la créativité des scénaristes nait d’ailleurs sans conteste de cette capacité d’adaptation à des situations imposées. Les questions économiques font par ailleurs souvent écho aux problèmes techniques ou technologiques imposés par le médium cinématographique, son matériel coûteux et les limites de ses technologies ; on attend d’un scénariste de savoir contourner ses difficultés pour faire passer son message et proposer l’histoire qu’il souhaitait raconter. Le film de Jean Renoir, La Petite marchande d’allumettes, réalisé à la fin des années 1910, illustre de manière intéressante une façon de scénariser en vue d’une mise en image les hallucinations d’une petite vendeuse d’allumettes fragilisée par la faim et le froid. D’un point de vue technique, la neige a été figurée par des morceaux de coton gris, par des tissus, des balles de jonglage, puis un voile ; l’illusion est clairement affichée, et c’est par cette illusion, née à l’origine de contraintes techniques et économiques, que la narration de son hallucination peut apparaitre à l’écran et se faire comprendre. Les contraintes imposées par le médium peuvent par ailleurs faire l’objet d’un jeu particulier stimulant pour le scénariste : La Corde d’Alfred Hitchcock propose un film-séquence, où les fins de pellicules sont toutes cachées par un procédé discret qui permet au scénario de se déployer de manière linéaire sur l’ensemble du film. Il existe par ailleurs, dans le cadre des séries particulièrement, des contraintes de production qui influencent beaucoup la manière d’écrire les scénarios : dans le cadre d’une production à flux tendu, l’épisode de la série en cours est écrit pendant que le précédent est tourné, ce qui implique une immédiateté et une efficacité de l’écriture très réglée. En France aussi, l’écriture d’un feuilleton télévisé comme Plus belle la vie impose des contraintes strictes : tourné du jour pour le lendemain, chaque épisode est composé avec la plus grande rapidité. Par ailleurs, le cinéma est un art politique. Qu’il s’agisse de le manipuler à des fins de propagandes ou de le limiter pour des questions de morale et de bienséance, les implications sur l’écriture du scénario sont grandes. Les films de grands cinéastes comme Eisenstein en Union Soviétique ont dans cette perspective fait les frais de cette politique répressive ; le scénario de la Ligne Générale, comme d’autres, a par exemple été modifié au gré des perspectives du parti communiste concernant les questions agricoles. Aux Etats-Unis, l’institution du Code Hays dans les années 1930 imposait pour des raisons de bienséances un très grand nombre de règles rigides et radicales avec lesquelles beaucoup de cinéastes ont cherché à jouer pour s’en défaire avec agilité. Les portes fermées, mais suggestives, de Lubitsch comme le célèbre baiser de trois minutes de Hitchcock dans Les Enchaînés sont à ce titre des exemples significatifs.

Il existe une deuxième catégorie de contraintes imposées par l’extérieur, qui concerne la réception de l’œuvre achevée. Le public, spectateur de cinéma ou téléspectateur, est la fin ultime du film. Ainsi, dans de nombreux cas, le film est réfléchi en fonction de ce spectatoriat, et il est nécessaire pour le scénariste de prendre en compte cette donnée dans l’écriture de l’histoire qu’il propose au tournage. Les enjeux, entre la télévision et le cinéma, sont à ce stade très différents. La réceptivité du spectateur de cinéma est en effet bien plus grande que celle du spectateur de télévision, qui a la possibilité sans difficulté de changer de programme à chaque instant. Le principal enjeu d’un scénario destiné à la télévision est donc d’accrocher le spectateur, ce qui incite les producteurs à peser lourdement sur les choix et la créativité de l’auteur. C’est une caractéristique qui est illustrée avec humour dans L’Auberge espagnole de Cédric Klapish, qui met en scène un jeune auteur embauché par la télévision pour scénariser un feuilleton léger, typiquement destiné à « la ménagère de moins de cinquante ans », public ciblé, qui a des attentes particulières auquel le programme s’attache à répondre. Le film met en scène le droit de regard de la production française sur le scénario proposé, et le poids qu’il pèse sur la créativité de l’auteur, qui apparait dans ce cadre comme un ouvrier du cinéma, au service d’une bible et d’un concept qui ne sont pas les siens. La télévision implique d’autres contraintes, liées à la diffusion ; celles-ci englobent la notion de public cible, donc le problème de la case horaire dévolue à l’épisode programmé, ainsi que, notamment, le problème du temps de l’action. Le calibrage des épisodes de série (cinquante minutes, vingt-cinq minutes, dix minutes) impose à l’écriture scénaristique des contraintes de forme et de fond liée au spectatoriat visé. Cette conscience du spectateur, que le scénariste ne doit pas perdre de vue, amène celui-ci à jouer des jeux avec son public. Afin d’accrocher son spectateur, et de le fidéliser avec une sorte de rite établis, des séries comme Six Feet Under, ou Dr House ont eu l’idée de proposer, à chaque début d’épisode, la narration d’une petite histoire qui prépare, dans le premier cas la mort à traiter dans le reste de l’épisode, dans le deuxième la maladie. Cette petite narration est toujours pleine de surprise, et, les épisodes passant, commence à se jouer de son spectateur : alors que certaines habitudes de narration ont été assimilées, les scénaristes changent de cible ou de point de vue, afin de surprendre, ou de fidéliser, leur spectateur. Au cinéma, particulièrement au cours de l’âge d’or hollywoodien, le scénario est par ailleurs construit de manière à tenir le spectateur à travers des procédés de manipulation : chaque image importante est introduite par d’autres images ou des mouvements de caméra qui suggèrent l’événement à venir. Ainsi, dans Sun came running de Vincente Minnelli, la logique néoformaliste qui caractérise le cinéma classique hollywoodien est informée par le scénario, qui dirige le regard du spectateur dans des directions choisies par le réalisateur. Dans ce film, qui raconte l’histoire d’un homme qui rêve de gloire et de richesse, toute la lecture du film est guidée par un engrenage scénaristique qui limite la polysémie de l’action. Pour comprendre l’enjeu de cette direction de spectateur, qui se présente comme un jeu, on peut analyser une courte séquence du début du film, lorsque le jeune protagoniste, lancé sur les routes vers la gloire, croise la première matérialisation de ses rêves. Ses vêtements et son attitude laisse voir d’où il vient ; on adopte son point de vue, on partage alors son regard, qui se pose sur une affiche figurant une belle femme ; cette image annonce, d’un côté, sa recherche de gloire, et d’un autre, plus directement, la voiture décapotable conduite par une belle jeune fille qui passe près de lui immédiatement après. Cette scène, elle-même, annonce la suite du scénario, et permet au spectateur d’anticiper inconsciemment les actions du protagoniste, et de rester ainsi accroché à l’action, tout en adoptant le point de vue choisi par le réalisateur. Le scénario est de fait ici construit de manière à guider le spectateur et à le garder captif.

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          Dans « Les deux sens du mot », Pierre Maillot insiste sur le fait qu’ « un cinéaste est quelqu’un qui a quelque chose à dire et une façon personnelle de le dire, dans le langage cinématographique spécifique »[5]. Car le propre du scénariste est bien d’avoir l’agilité de pouvoir s’emparer du langage cinématographique à des fins créatives. Dans ce domaine également se présentent néanmoins de nombreuses contraintes. Dans un premier temps, les questions se posent au niveau du langage dramaturgique, ainsi qu’aux principes du récit. Si François Vanoye insiste dans Scénarios modèles, modèles de scénarios sur la « diversité structurelle des modèles de contenus qui ne cessent de travailler les scénarios »[6], il est cependant nécessaire de remarquer la pérennité des principes institués par Aristote dans sa Poétique dans les scénarios de films ou de série. Comme au théâtre, les questions d’unité d’espace et de temps, de vraisemblance et d’unité dramatique : à partir de l’idée que « forme un tout ce qui a un début, un milieu, une fin », des théoriciens comme Sydney Field[7] défendent pour le cinéma des structures en trois actes qui permet cette totalité. Ainsi, un film comme La Traversée de Paris de Claude Autant-Lara suit ce principe, et propose dans un premier acte l’exposition du contexte (l’occupation de Paris et le marché noir, présentation et alliance de Bourvil et de Gabin) ; dans un second la traversée de Paris elle-même, le développement de l’intrigue (qui lie la livraison du cochon à l’évolution des rapports entre Bourvil et Gabin) ; dans un troisième et dernier acte, la résolution et le dénouement. Avec ce même principe, Sydney Field analyse des films comme Annie Hall de Woody Allen ou Chinatown de Polanski. Cependant, la durée des actes (proposée proportionnellement, avec une double durée pour le développement de l’intrigue) varie toujours, et la structure est souvent travaillée différemment selon les réalisateurs. Ainsi, les théoriciens comme Anne Huet[8] ou François Vanoye[9] élaborent des typographies de films dont la composition diffère : des films en deux actes, plus fréquente dans les films courts, mais que l’on retrouve aussi dans des films comme Full Metal Jacket, qui met d’abord en scène la formation des jeunes marines pour la guerre du Vietnam, puis l’expérience de la guerre elle-même ; des films en quatre ou cinq actes, ou à structure floue, comme celle de L’Avventura d’Antonioni, par exemple, qui laisse voir une structure floue entre trois et cinq actes. Ce modèle aristotélicien ne peut cependant s’appliquer à la télévision, qui doit proposer un autre modèle, plus efficace pour ce type de spectacle : la shark theory, qui aspire le spectateur à l’intérieur de l’intrigue de manière à le tenir concentré. La télévision doit cependant répondre, au même titre que le cinéma, aux règles de la vraisemblance, qui permet au spectateur une suspension d’incrédulité[10] nécessaire à une bonne réception par le spectateur. Cette vraisemblance est d’abord déterminée par rapport à la diégèse du film, pas à la vérité du fait exposé ; ainsi, sauf pour des raisons diégétiques précises, un film ne proposera pas une chute de neige en été, de même qu’il parait impensable de présenter Buster Keaton comme un homme confiant et adroit. Cette caractéristique fondamentale de l’art visuel peut cependant aisément être saisie par les scénaristes, et ils ne vont pas hésiter à en jouer. Avec Cet obscur objet du désir, Louis Buñuel joue ce jeu en profondeur, et fait preuve d’une créativité qui fait encore aujourd’hui la notoriété du film. Au moment de l’adaptation scénaristique du roman de Pierre Louÿs La Femme et le Pantin qu’il réalise avec Jean-Claude Carrière, Buñuel s’interroge sur la vraisemblance de ses personnages. La solution qui s’est imposé à lui, qui n’avait pas l’habitude de travailler ses personnages, pour rendre à la fois l’ingénuité et la saveur de Conchita, son protagoniste, a été de faire jouer ce rôle par deux femmes différentes, Carole Bouquet et Angelina Mollina. Cet artifice invraisemblable a cependant un poids qui appuie le scénario dans la mesure où il renforce l’idée que Conchita est un objet de désir obscur, permettant par-là d’embrasser la complexité d’un regard altéré par le désir, et de s’adresser au nom de toutes les femmes. Dans le cas d’une série, la prolongation dans le temps permet des invraisemblances discrètes, perdue au cœur de l’action et utilisées si habilement pour les besoins de la dramaturgie qu’elles peuvent être aisément acceptées par le spectateur : qu’il s’agisse de séries américaines ou françaises, les deus ex machina ne manquent pas. L’apparition subite d’une sœur cachée dans la série Charmed après la disparition de Prue, après que l’actrice a choisi de quitter la série, est exposée de manière maladroite car subite, mais fonctionne dans la diégèse de l’ensemble, parce que le spectateur a besoin que le drame se poursuive ; comme l’écrit Umberto Eco dans un article intitulé « Innovation et répétition : entre esthétique moderne et post-moderne », « Avec une série, on croit jouir de la nouveauté de l’histoire (qui est toujours la même) alors qu’en vérité on apprécie la récurrence d’une trame narrative qui reste constante »[11]. «  D’autre part, les règles du récit qui s’imposent au scénariste permet de nombreux jeux de connivence avec le spectateur : dans la construction de la narration peuvent se jouer l’ironie dramatique, qui fait que le spectateur en sait plus qu’au moins un des personnages en scène, qui permet un suspense haletant ; mais se joue également une ironie envers le spectateur, que Gérard Genette dans ses travaux sur la focalisation nomme « paralipse » et qui consiste à « donner moins d’informations qu’il n’est en principe nécessaire »[12], et qui joue ainsi le jeu de la surprise totale et du retournement de situation. C’est ce que le spectateur peut vivre avec Lang dans L’Invraisemblable vérité, qui présente tout au long de l’histoire un faux coupable construit pour les besoins d’une enquête, qui se révèle finalement être véritablement un assassin. C’est aussi le jeu que joue Milos Forman dans A Man on the Moon, qui met en scène un humoriste perdu dans son propre jeu, au point que le spectateur comme les gens qui l’entourent ne savent plus lorsqu’il joue un rôle et lorsqu’il est sérieux. Sa dernière blague, son soi-disant cancer et sa mort, se pose en pure paralipse, puisqu’il finit par ressusciter, à la grande surprise du spectateur, et à revivre sur une scène qui ne voulait plus de lui.

La question du langage dramaturgique se double pour le scénariste de l’importance du langage cinématographique et des codes à adopter. Comme le note avec insistance Pierre Maillot[13], le scénariste a pour fonction de manipuler les  connaissances spécifiques des moyens cinématographiques, ses limites et ses possibilités. L’écriture d’un scénario doit donc à tout prix prendre en compte la « polyphonie informationnelle » que Barthes applique au théâtre, sans penser le cinéma, mais qui reste un outil intéressant pour comprendre les enjeux liés à l’écriture scénaristique. Il définit cette notion en parlant des messages qui sont envoyés à l’adresse du spectateur, et qui « ont ceci de particulier, qu’ils sont simultanés et cependant de rythme différent ; en tel point du spectacle, vous recevez en même temps six ou sept informations (venues du décor, du costume, de l’éclairage, de la place des acteurs, de leurs gestes, de leur mimique, de leur parole), mais certaines de ces informations tiennent (c’est le cas du décor) pendant que d’autres tournent (la parole, les gestes) »[14]. L’importance d’un élément comme le son est par exemple mise en scène dans un film comme L’Enfant sauvage  de Truffaut, dans lequel c’est par le son que l’on découvre que le jeune garçon recueilli dans les bois n’est pas sourd mais juste éduqué différemment ; le réflexe qu’il manifeste au moment où, dans le bureau du docteur au début du film, la porte claque – et qui est cette volonté vive de comprendre d’où vient le son qui nous a surpris – nous renvoie en lui-même à notre position de spectateur, qui cherchons à voir dans l’image l’origine d’un bruit. Mais l’idée barthienne de la « polysémie informationnelle » ne se limite pas au son. Dans l’image et le son, le décor, le lisible, la parole, le bruit et la musique jouent un rôle fondamentale dans la manière dont le spectateur va recevoir le film, et le travail du scénariste est de savoir les mettre en harmonie pour créer une œuvre significative ; c’est aussi, à nouveau, l’occasion d’un jeu créatif. Le travail de la voix peut ainsi devenir un élément comique, comme il l’est dans Chantons sous la pluie de Stanley Donen, lors de cette scène de cinéma où, aux débuts du parlant, la star du muet se voit confrontée aux micros et à l’enregistrement de sa voix de crécelle horripilante. La monstration de l’artifice devient un jeu scénaristique et un jeu comique, dans un film où le son, puisqu’il est musical, est si important. Le jeu avec le son et la narration peut également être la proposition d’une aide pour le spectateur ; les thèmes musicaux de Bernard Hermann qui parcourent le North by North-West de Hitchcock se réfèrent chacun à un personnage ou à un certain type de situation, et le retour de chacun expose auditivement le spectateur à l’entrée en scène du personnage qui lui correspond. Une fois encore, néanmoins, il est facile de tricher avec cette polysémie informationnelle, et de décider de bouleverser l’ordre d’attention du spectateur, et de l’obliger à cibler son attention sur des éléments généralement mis au second plan. Concernant la question du son, et particulièrement de la voix, Jean-Luc Godard est à ce titre un cas exemplaire ; dans Film socialiste, le brouillage des fréquences couvre avec une violence sonore manifeste les paroles de certains personnages, les images, prises via un téléphone ou un appareil vidéo de basse qualité, sont elles-mêmes parfois brouillées, indistinctes : le spectateur, ne percevant plus rien, se trouve dans l’obligation de se concentrer sur d’autres éléments pour suivre le film. C’est un type de procédé qu’il mettait déjà en scène dans les années 1960, dans A bout de souffle ou dans Une Femme est une femme, par exemple, pour lesquels les prises de son directes dans la rue ont pu poser des problèmes de compréhension que Godard, plutôt que de les décrier, a semblé souhaiter. Il rompt ainsi avec le spectateur ce que Michel Chion dans L’Audio-vision : Son et image au cinéma[15] a baptisé le « contrat audiovisuel », qui sous-entend la simultanéité du son et de l’image. S’il s’agit d’une habitude construite, suscite néanmoins en nous des interprétations narratives et émotionnelles d’une grande richesse, et il faut le penser sur le plan scénaristique.

Le langage cinématographique concerne également toutes les possibilités du cinéma induites par la mobilité de la caméra et par le montage. Le cinéma, par-là, est par exemple devenu un art de l’ellipse[16] ; des conventions implicites sont nées qui incitent à couper les scènes de déplacement, les gestes anodins du quotidien, les nuits, pour laisser voir à l’écran de l’action et de quoi faire avancer la narration. Les moyens techniques eux-mêmes contraignent finalement l’écriture, qui utilise les atouts du langage cinématographique pour faciliter l’application de la Poétique aristotélicienne. Sauf, une fois encore, si on refuse de se plier aux conventions et que l’on dévide de jouer avec ces règles ; Chantal Akerman, dans Jeanne Dielman, 23 Quai du Commerce, 1080 Bruxelles trompe le principe de l’ellipse pour servir le message de son film. Le scénario est simple : il s’agit de présenter trois jours de la vie d’une femme au foyer, veuve, qui reçoit l’après-midi des clients pour arrondir ses fins de mois. Le reste de sa vie est vide, sans espoir, sauf le retour de son fils de l’école, un fils avec lequel pourtant elle ne parle pas, sauf pour lui apporter à dîner. La question cinématographique posée à l’écriture d’un tel film est facilement la suivante : comment rendre l’ennui de cette femme et la vacuité d’une vie que rien ne vient égayer ? Chantal Akerman, scénariste de son film, y a répondu avec l’aide du langage cinématographique, en bouleversant les codes habituellement appliqués – ce qui lui a valu de la part des critiques de nombreuses piques concernant la vraisemblance de la réalité de la vie de cette femme[17]. Tous les gestes du quotidien sont réalisés en temps réel : elle épluche des pommes de terre, pétrit de la viande, se lave, fait son lit, prépare à manger, range la table du salon… La seule distraction de la journée – la venue du client – est ellipsée : ce n’est pas tant un passe-temps qui l’amuse. Dans ce film, les règles convenues de l’application du langage cinématographique sont bouleversées dès le scénario. Le pouvoir du cinéma est aussi de pouvoir proposer des alternatives ; qu’il s’agisse dans Funny Games de Haneke ou du film de Tom Tykwer Lola rennt !, on constate que le pouvoir du cinéma est de pouvoir ressusciter pour mieux terminer. « Et si… », propose le scénariste de Lola rennt, et si on réécrivait l’histoire ; les moyens du cinéma le proposent, pourquoi ne pas profiter de l’opportunité pour explorer de nouveaux horizons. D’autres fois cependant, le scénario ne permet pas la réalisation de l’image pensée ; comme il est dit dans Le Mépris, au moment de la projection en présence du scénariste, du producteur et du réalisateur, « c’est écrit, mais ce n’est pas à l’écran ». C’est aussi l’occasion de se lancer des défis : c’en est un que relève Cronenberg lorsqu’il décide d’adapter l’indescriptible Naked Lunch de William S. Burroughs. Comment écrire pour le cinéma l’histoire d’une hallucination ? Les moyens du cinéma permettent de mettre en parallèle deux mondes, celui du réel et celui du délire ; c’est ce parti qu’il a pris, en intégrant à l’adaptation de l’ouvrage des éléments autobiographiques liés au moment de l’écriture du livre. Le résultat est surprenant mais très intéressant ; le travail scénaristique assez précis et clair pour pouvoir suivre une narration mais tomber dans le délire et l’hallucination avec une facilité qui évoque la forme du livre adapté.

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            Si on suit Pierre Maillot sur cette question, il faut ainsi comprendre le scénario au sens de « partition cinématographique » qui met en cause un savoir précis sur la nature de l’écriture cinématographique. Si elle est bien mise en œuvre, elle offre un message que le spectateur saisit directement et aisément. L’écriture scénaristique apparait ainsi comme l’expression d’une véritable rhétorique de l’image. L’image en soi est fortement polysémique ; associé au texte ou au dialogue, l’interprétation est limitée et devient directe et communicative pour le spectateur. Dans les films muets, déjà, on avait inventé le carton, destiné à guider l’histoire, à donner un sens précis à une image qui aurait pu dire autre chose. La fonction du scénariste à ce stade est particulièrement importante ; c’est pourquoi il est nécessaire que l’écriture du texte soit de qualité, parce qu’il joue finalement dans l’expression rhétorique de l’image. Le pouvoir du scénariste est donc de guider par le texte, par l’écriture, par le dialogue, la signification de l’image projetée, à travers une rhétorique dont il maîtrise les codes langagiers, qu’ils soient dramaturgiques ou cinématographiques. Il a le pouvoir de permettre que « l’unité du message se [fasse] à un niveau supérieur » que lorsque l’on n’est confronté qu’à une simple image, et de jouer avec « cette parole-relais [qui] devient très importante au cinéma, où le dialogue n’a pas une fonction simple d’élucidation, mais où elle fait véritablement avancer l’action en disposant dans la suite des messages, des sens qui ne se trouvent pas dans l’image »[18]. Dans des films où la continuité dialoguée se révèle particulièrement importante, par exemple dans ce que Stanley Cavell a nommé « comédies du remariage »[19] et qui basent leur sens sur le message selon lequel c’est par la conversation qu’on peut accéder à une communion possible avec le monde ou avec autrui, et ainsi se perfectionner. Dans ces films, tels Philadelphia Story de George Cukor ou New York-Miami de Frank Capra, la conversation et le dialogue accompagnent de manière fondamentale l’image d’un couple déchiré, divorcé, mais destiné à se remarier. Cette question de la rhétorique de l’image naît à l’origine d’un questionnement sur le sens du cinéma ; mais si le cinéma fait sens, c’est parce qu’il maîtrise l’image en lui ajoutant un texte et un discours, dont le scénariste est maître.

La grande question de l’auteur en France pose autrement la question du scénario. François Vanoye lui-même s’interroge sur cette notion d’auteur comme personnage omnipotent sur son film, ce qui renvoie à l’importance de la figure du metteur en scène que travaillait Truffaut dans son article « Une certaine tendance du cinéma français »[20]. Selon lui, le cinéma, avant d’être un texte, est une mise en scène ; à partir de là, les principes de l’écriture scénaristique s’en voient bouleversés. Dans les années 1920, Louis Delluc expliquait déjà que la fonction et la forme du scénario varient en fonction du fait que ce soit le metteur en scène qui l’écrive – celui-ci est fait donc partie du processus de création – ou non – le scénario se proposant ainsi comme maquette du film à venir. Suivant l’importance de la figure du metteur en scène à une époque donnée, le scénario apparait comme une pièce maîtresse du film (c’est le cas dans les films du « cinéma de papa » que critique Truffaut dans son article) ou comme un simple support au tournage. Même à Hollywood, certains cinéastes amènent à réfléchir différemment le scénario au sens où les contraintes ne s’imposent plus tant de l’extérieur que de l’intérieur, à la mesure de quoi ils écrivent spécifiquement pour leur tournage : on connait l’histoire du Casablanca de Curtiz, issu originellement d’une pièce de théâtre inédite, et dont le scénario, rédigé en cascade d’improvisations, est « écrit au jour le jour par des auteurs différents », le script « n’[étant] remis aux interprètes que quelques heures avant le tournage de la scène »[21]. De la même manière en France, les scénarios de la plupart des films de la Nouvelle Vague sont souvent écrits dans la précipitation et tiennent sur peu de pages ; le scénario d’Une femme est une femme de Godard tient sur à peine huit pages, celui de la série des Antoine Doinel chez Truffaut sans doute pas beaucoup plus. Les contraintes qui naissent dans la production du scénario dans ce cas sont spécifiques à chacun des auteurs : qu’il soit simple support ou guide du film, les pratiques de chacun définissent leur scénario. Cette notion de l’auteur a envahi également la télévision et les séries télévisées : après le Twin Peaks de Lynch, qui adopte une forme assez traditionnelle, de nombreux « auteurs », réputés comme tels, se sont lancés dans la réalisation d’une série, dont, de par leur force d’auteur, ils restent complètement maîtres. Lars von Trier à la fin des années 1990 réalise L’Hôpital et ses fantômes, une mini-série de création, dont la forme de diffusion marque bien le pouvoir de l’auteur : divisée en quatre ou cinq épisodes de durées variables, édités ainsi à cause des contraintes télévisuelles, puis réaggloméré en un film de cinq heures, les deux saisons de cette mini-série imposent leur scénario, contraignant pour les diffuseurs davantage que pour l’auteur. Aujourd’hui, avec le développement des mini-séries, le rapport de forces et de contraintes s’inverse un peu : l’auteur, comme Jane Campion avec Top of the Lake, propose un programme auquel les diffuseurs et producteurs doivent s’adapter : la force du nom d’auteur est suffisamment forte pour que les différents facteurs de contraintes concernant le spectateur soient remplis. Au cinéma, les « auteurs » de la période de la Nouvelle Vague, qui impose une sortie des studios et un cinéma moins cher et plus maniable, bénéficient des mêmes libertés ; ils construisent leurs films à partir du scénario et de ses contraintes qu’ils se sont eux-mêmes fixés. La comparaison entre différentes méthodes de travail peut ainsi être constructive pour comprendre les enjeux d’une créativité dans l’écriture scénaristique dans le cadre d’un scénario non plus comme plateforme mais comme simple support de réalisation. Ainsi s’opposent les techniques d’improvisation de Jacques Rivette, qui laissait à ses acteurs le soin d’interpréter le scénario comme bon lui semblait, et celles de Jean Eustache, qui écrivait pour ses films un texte que les acteurs devaient réciter au mot près. C’était également la technique imposée par Rohmer, qui écrivait ses scénarios comme des histoires, ce qui appelle à des contraintes non plus tant au niveau de l’écriture qu’au moment de la réalisation. Dans ce type de production artistique, la créativité l’emporte sur la contrainte dans la mesure où le partage des tâches n’est plus institué ; l’écriture n’est plus contrite par des forces externes ou internes au cinéma et à son monde, c’est le cinéma qui se plie à l’intention de l’auteur et metteur en scène. Mais un tel refus des recettes implique une force présence de l’auteur, et répond à d’autres logiques de production et de réalisation que le travail d’une équipe qui répond à la commande ou aux attentes d’un producteur ; financé par les américains, Godard a dû ajouter dans le scénario pour le bon plaisir du public visé la scène d’ouverture qui fait du Mépris le film si célèbre qu’il est devenu.

Si on suit Jean-Claude Carrière, il semble finalement que s’ « il existe des règles, c’est pour les violer »[22]. « Autrement dit, le scénario est un état transitoire, une forme passagère destinée à se métamorphoser et à disparaître, comme la chenille devient papillon. (…) Objet éphémère : il n’est pas conçu pour durer, mais pour s’effacer, pour devenir autre »[23]. Pour les auteurs de cet essai, tous deux scénaristes, l’écriture scénaristique est bel et bien une « écriture spécifique », qui est « au début d’un long processus de transformation, et tout le processus dépend de cette forme première. Ecriture de passage, de transition, destinée à des lecteurs raréfiés et partiellement attentifs dont elle est le guide indispensable, elle est peut-être, pour toutes ces raisons, et du fait même de son effacement, de son humilité, de sa disparition prochaine, la plus difficile de toutes les écritures connues ». Les contraintes qui s’appliquent sur elle et dont nous avons dressé un rapide panorama font de l’écriture scénaristique un tour de force d’une modestie essentielle sans comparaison. Et c’est la capacité du scénariste à se détacher en les intégrant des recettes qu’on lui impose qui fait que le scénario est un art, et que le cinéma reste imprévisible ; Pascal Bonitzer et Jean-Claude Carrière, dans ces Exercices du scénario, témoignent de l’activité artistique de leur travail, explique que « le travail sur un scénario obéit souvent à une série de vagues », au cours desquelles « l’imagination se met e chasse »[24], raisonnée par les codes du métier et le dessein fonctionnel que doit accepter d’endosser l’écriture scénaristique. Il s’agit par-là d’accepter l’idée qu’en tant que scénariste, on travaille au service de ; à ce propos, et pour expliquer ce rapport particulier à la notion d’écriture scénaristique, François Venoye évoque Lévi-Strauss à travers son idée de mythe comme bricolage. Dans La Pensée sauvage, celui-ci identifie en effet la pensée mythique pour la science au bricolage pour l’ingénieur : plutôt qu’une discipline rigide et précise, il s’agit dans un cas comme dans l’autre d’une synthèse spontanée de matériaux hétéroclites et limités (qui sont dans le cas de l’écriture scénaristique l’imagination et les contraintes). On pourrait ainsi dire à sa suite que, « comme le bricolage sur le plan technique, [l’écriture scénaristique] peut atteindre, sur le plan intellectuel, des résultats brillants et imprévus »[25]. Cette idée aurait sans doute rendu fou Hitchcock, dont on connait la pratique du scénario achevé et intouchable ; mais il faut admettre que ce caractère très aléatoire et créatif est définitivement une grande part du travail d’écriture. Celui-ci s’illustre par la manière dont Tonino Guerra parle de son travail avec Antonioni : « Chaque fois que j’ai fait un scénario avec Antonioni, quand nous écrivons, nous inventons un jeu »[26]. Cet exemple manifeste ce que partagent beaucoup de réalisateurs : on retrouve l’idée de Pasolini définissant « le scénario comme structure tendant vers que autre structure »[27], laissant se développer par là une grande part d’imagination, qui peut ainsi, si elle s’est vue contrite au moment de l’écriture, ressurgir dans l’action du tournage au bon vouloir des cinéastes, auteurs ou non du scénario qu’ils mettent en scène.

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            Dans l’introduction de son Scénario modèle, modèles de scénario, François Vanoye questionne la matière de son livre : « Une théorie du scénario est-elle possible ? Est-elle surtout souhaitable ? Ce n’est pas sûr »[28], conclut-il. Ce sont les mêmes enjeux qui traversent un ouvrage théorique comme ce numéro de la revue CinémAction sur « L’Enseignement du scénario » ; la connaissance des contraintes (c’est-à-dire tant la prise de conscience des contraintes extérieures liées à la production, au public, aux technologies que la connaissance et la maîtrise des langages dramaturgique et cinématographique) ne suffit pas à faire un bon scénario. La part de créativité, qui agit et est stimulée par ces contraintes-mêmes, reste d’une importance fondamentale, au même titre que les qualités d’écriture, notamment dans les films qui laissent une part importante au dialogue et à la réflexion. L’intelligence de l’image nait en premier lieu de l’intelligence d’un scénario ; et quelles que soient les circonstances d’écriture, quel que soit l’auteur du scénario – qu’il s’agisse ou non du metteur en scène -, il est dans tous les cas une base nécessaire à la réalisation d’un film. Objet achevé et immuable, ou jeu en perpétuel développement, le scénario est bel et bien un objet d’art, qu’il soit créé à des fins expérimentales ou en collectif et à la chaîne dans une entreprise comme HBO. Il s’est agi ici de penser le scénario de cinéma ou de télévision en regard des limites imposées par l’extérieur et par la notion même de produit destiné au cinéma ; à partir de là, il devient possible de penser la liberté des scénaristes, en tant que créateurs d’une rhétorique de l’image qu’ils maîtrisent de bout en bout, et en tant qu’artistes qui jouent avec les règles au profit du film final. Ecriture difficile, délicate et souvent soumise à inspection – surtout s’il est question d’argent – l’écriture scénaristique n’a cependant rien d’industriel : tout le monde s’accorde à lui reconnaître dans sa modestie sa grande valeur artistique.

Mathilde Rouxel

[1] Hugo Munsterburg, 1916, cité par Isabelle Raynauld, in. “Le scénario en crise”, L’Enseignement du scénario, CinemAction, Ecole Louis Lumière – INA – CEE – Corlet – Télérama, 1991.

[2] Ibid.

[3] André Malraux, Esquisse d’une psychologie de cinéma, 1939.

[4] Pierre Maillot, « Les deux sens du mot », in. L’Enseignement du scénario, CinémAction, op. cit.

[5] Pierre Maillot, « Les deux sens du mot », in. L’Enseignement du scénario, CinémAction, op. cit.

[6] François Vanoye, Scénarios modèles, modèles de scénario, Nathan université, 1991, p.28

[7] Sydney Field, Scénario. Les Bases de l’écriture scénaristique, éditions Dixit, 2008

[8] Anne Huet, Le Scénario, éditions des Cahiers du cinéma, 2005

[9] François Vanoye, Scénarios modèles, modèles de scénario, op. cit.

[10] Voir sur la question l’ouvrage de Noël Carrol, Theorizing The Moving Image, Cambridge, Cambridge University Press, 1996

[11] Umberto Eco, « Innovation et répétition : entre esthétique moderne et post-moderne », Réseaux n°68 CENT, 1994, p.17

[12] Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, coll. « Poétique », 1972, p.211

[13] Pierre Maillot, « Les deux sens du mot », in. L’Enseignement du scénario, CinémAction, op. cit.

[14] Roland Barthes, « Littérature et signification », in. Essais critiques, Seuil/Points, 1981, p. 258

[15] Michel Chion, L’Audio-vision : son et image au cinéma, Paris, Armand Colin Cinéma, 2005

[16] Voir Philippe Durand, Cinéma et montage, un art de l’ellipse, Paris, Cerf, 1993

[17] Voir les critiques parues dans les journaux régionaux lors de la sortie du film, en 1975 (revue de presse « Jeanne Dielman », Cinémathèque Française)

[18] Roland Barthes, « Rhétorique de l’image », Communication 4, 1964

[19] Stanley Cavell, A la recherche du bonheur. Hollywood et les comédies du remariage, éditions des Cahiers du Cinéma, 2009

[20] François Truffaut, « Une certaine tendance du cinéma français », Cahiers du Cinéma n°31, janvier 1954

[21] Patrick Brion, « Casablanca » de Michael Curtiz, éditions Yellow Now, Crisnee, 1980, p.12

[22] Jean-Claude Carrière, Pascal Bonitzer, Exercices du scénario,  éditions de La Femis, 2000, p.29

[23] Jean-Claude Carrière, Pascal Bonitzer, Exercices du scénario, op. cit. p.11

[24] Jean-Claude Carrière, Pascal Bonitzer, Exercices du scénario, op. cit. p.33

[25] Claude Lévi-Strauss, La Pensée sauvage, Paris, Pocket, 1990, p.26

[26] Tonino Guerra, cité par Marie-Christine Questerbert, Les Scénaristes italiens, 5 Continents-Hatier, 1988, p.190

[27] Pier Paolo Pasolini, propos recueillis dans Les Cahiers du Cinéma n°185, décembre 1966

[28] François Vanoye, Scénarios modèles, modèles de scénario, op. cit. p.14

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