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Dishu ou la variation du geste

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Le dishu, c’est une danse de pinceaux, un ballet de gestes plus ou moins lents, une éloge de l’éphèmere, un art ancien revisité. Cette technique de calligraphie urbaine se pratique en Chine depuis le début des années 90. Ses particularités : elle utilise de l’eau et non de l’encre. Elle se réalise à même le sol sur les fameux pavés en pierre bleue qui composent les places et parcs chinois. Les pinceaux sont composés de pointes en mousse et non de poil.

François Chastanet,  architecte et typographe, enseigne à l’Institut Supérieur des Arts de Toulouse depuis 2012. Lauréat de la bourse « Hors les murs » en 2011 de l’Institut Français, il effectue un voyage dans l’Empire du Milieu et découvre ce nouveau mode d’expression. Passionné par les lettres et fasciné par la manière dont la calligraphie évolue, il décide d’en faire un documentaire. Vidéos, photos et témoignages en poche, il revient en France pour témoigner de cette nouvelle variation artistique. Dans le cadre de la résidence Typographie, Cartographie, Calligraphie jusqu’au 14 mai chez Made in Town, l’artiste française Hélène Rigny invite cet homme de caractères pour une démonstration empreinte de pédagogie. Tout en nous expliquant comment fabriquer un pinceau avec un morceau de bambou ou une perche à selfie, et de la mousse de récupération – « celle d’un vieux matelas ou d’un fauteuil fait l’affaire » –  François Chastanet transmet son émerveillement. L’expérience chinoise l’a transporté au-delà même de l’écriture. Les termes techniques – l’empattement, l’alignement, l’espace – sont absorbés par un ton très poético-philosophique. « Quand tu les observes, tu te rends compte que la pratique du dishu est un dialogue permanent avec eux-mêmes. C’est une activité sportive qui vise à maintenir un lien important entre le corps et l’esprit».

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La forme importe plus que le fond

 

Il faut être au bon endroit, c’est-à-dire, dans les grandes villes, au bon moment (entre 6 et 8h du matin) pour capter cette expérience neuro-sensorielle. Elle a lieu en même temps que les séances de tai-chi. On pourrait même croire que l’un et l’autre se complètent. Les milliers d’amateurs, très souvent âgés, s’adonnent à ce rituel en été. « J’ai vu un père et ses deux filles s’excercer tous les jours pendant une heure, avant et après l’école. Il est aussi question de transmission entre générations ».

Il ne s’agit pas ici de revendiquer quelque chose, d’apposer des slogans politiques, le dishu se veut neutre. Extraits littéraires, poèmes ou aphorismes, appris par cœur ou à portée de main, sont inscrits avec dextérité. « Pour les Chinois, c’est d’une banalité sans nom. Ils n’ont pas besoin d’une preuve photographique pour évaluer la qualité de l’écriture. Au début, ils ne comprenaient pas pourquoi je m’intéressais à ça. La calligraphie fait partie de leur patrimoine culturel depuis des millénaires. Tout le monde la pratique et peut, par exemple, donner son avis sur la position d’un trait. »

Et c’est tout l’art du dishu, les possibilités de variation sont presque infinies.

Faute d’une météo clémente, le sol en asphalte de Made in Town se transforme en feuille de papier (brouillon). François Chastanet nous montre sa méthode et sa connaissance de l’écriture latine. Il trace des lettres cursives avec facilité et légèreté. Il passe des miniscules aux majuscules sans sourciller. Tout est dans la précision du mouvement, la souplesse du poignet et surtout dans la pratique quotidienne. Pour les amateurs présents, il faut allier la parole au geste. L’heure est à l’expérimentation. L’architecte-typographe continue de prodiguer conseils et astuces tout en distribuant les pinceaux.

« Plus il y a de pression, plus le trait est épais », «  Servez-vous de l’empattement comme d’un repère visuel pour aligner vos caractères », « le plus difficile est de bien calculer l’espacement entre les lettres ». Selon lui, il suffit de maîtriser quelques signes tels que « o, a, m, w, s, f, g» pour pouvoir reconstituer l’alphabet. Mais faire varier les pleins et les déliés – ces termes correspondent respectivement aux tracés le plus épais et le plus fin d’une lettre – n’est pas donné à tout le monde.

Les réalisations sont inégales. Pour certains, le coup de main est rapide. Pour d’autres, l’eau ne semble pas être leur élément. Peu importe, les traces s’effaceront au bout de quelques heures.

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« L’intérêt de cet art, c’est que ça soit éphémère ! Vous pouvez en faire avec vos enfants, ils vont adorer. ». Et comble du bonheur, on peut marcher sur les oeuvres sans avoir peur de les abîmer.

 

Cécile Thomachot

 

http://francoischastanet.com/

http://www.made-in-town.com/fr/

http://www.institutfrancais.com/fr

*crédits photographiques : Cécile Thomachot

2 réflexions sur “Dishu ou la variation du geste

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